Principes généraux d’harmonie – Les transitions entre différents types d’harmonie
Nous avons discuté, précédemment, des techniques permettant l’atteinte d’un objectif primordial : créer un caractère harmonique cohérent, clair et parfaitement audible. Il n’est pas nécessaire, cependant, ni même souhaitable, d’utiliser une seule technique harmonique tout au long d’une pièce. Avec une transition en douceur, on peut assez facilement passer d’une technique harmonique à une autre. La principale méthode consiste à profiter d’éléments communs. (Aux pages 271 à 275 du Persichetti, vous trouverez d’excellents commentaires à ce sujet ; inutile d’y revenir ici.)
Évidemment, certaines techniques harmoniques sont plus naturellement compatibles que d’autres. Dans ces cas, on peut facilement trouver des éléments communs permettant de lier un point de départ et un point d’arrivée. Ainsi, la technique des notes ajoutées peut facilement migrer vers la polyharmonie (ou vice versa). Et l’harmonie intervallique peut se transformer en harmonie cellulaire si on privilégie les mêmes intervalles. En contrepartie, certaines techniques harmoniques sont plus difficiles à combiner. Par exemple, il est ardu de passer de l’harmonie diatonique modale à l’harmonie cellulaire.
Les changements de techniques harmoniques peuvent être utilisés localement ou à travers de longs passages. Les transitions entre grandes sections exigent une insistance accrue : l’auditeur doit réaliser qu’il est en présence d’un changement formel majeur.
Nous avons déjà discuté de comment réaliser ce genre d’insistance.
Examinons des changements de techniques harmoniques intervenant dans une courte pièce :
(traduction française des commentaires dans la partition) :
Dans cet exemple, on utilise à l’intérieur d’une même pièce différents types d’harmonie. La pièce commence par un cluster de trois notes, qui aboutit à un accord de secondes plus ouvert (mesure 3). La seconde phrase reprend de façon identique la première,à l’exception de l’accord cadentiel (mesure 5). Entre les deux cadences, une seule différence : une nouvelle note, un la au centre. Ce la remplace le si de la mesure 3, maintenant une conduite des voix cohérente (si >la). À la mesure 5, le la introduit une sonorité plus ouverte, constituée d’une sixte sous une quarte juste. La phrase suivante (mesures 6 et 7) fait alterner des clusters à trois sons et des accords avec quinte, donc plus ouverts, déjà subtilement préparés par la quarte de la mesure 5. L’alternance des accords produit un simple mouvement de notes voisines. Les mesures 8 et 9 réutilisent les deux notes graves de la cadence de la mesure 7 mais introduisent une nouveauté, une harmonie en miroir qui se développe jusqu’à la mesure 10. Remarquons qu’à la main gauche on omet la note centrale ce qui rend la texture plus transparente. L’harmonie en miroir débouche, aux mesures 11 et 12, sur une texture polycordale plus libre. Remarquons que la tension harmonique diminue à la cadence de la mesure 12, avec un simple accord de 7 ième. Les mesures 13 à 16 rappellent le début de la pièce mais en substituant des tierces aux secondes. Elles utilisent aussi des clusters mais uniquement à la cadence. La mesure 6 revient, en écho, à la mesure 17 ; les accords sur temps faibles sont de simples accords voisins. Aux mesures 18 et 19, on reprend les sonorités de quarte et de quinte des accords sur temps faibles de la mesure 17 et on les fait évoluer, avec une tension harmonique croissante, par mouvements conjoints, vers le sommet de la pièce, les denses polyaccords des mesures 20 et 21. Les voix extérieures bougent conjointement aux mesures 22 et 23 et la texture s’élargit avec les accords de quinte, sur les premiers temps de ces mesures. Les mesures 24 et 25 font écho aux mesures 8 et 9 mais avec des polyaccords plus libres évoluant en mouvement contraire dans les voix externes vers la cadence de la mesure 25. Les mesures 26 et 27 rappellent la première phrase de la pièce. Cependant, les tierces sont séparées par les clusters. A la cadence de la mesure 27, l’accord contient à la fois une quinte et une seconde mineure (qui évoque les clusters précédents). La note grave de la quinte agit alors comme une sensible dans la phrase conclusive : un simple mouvement conjoint commençant par un do. La couleur de l’accord de septième de la mesure 27 prépare les accords de 7 ième de la mesure 28. La dernière mesure présente la résolution finale : un accord de do mineur avec un lab ajouté.
Remarquons que toutes les transitions harmoniques utilisent des notes communes, une conduite des voix conjointe, ou des associations intervalliques claires entre les harmonies successives. Les éléments motiviques contribuent également à unifier et à cimenter la pièce.