L’art orchestral – Notions de base, 2e partie

LIGNES MUSICALES VS. PARTIES INSTRUMENTALES

L’orchestre se compose de nombreux musiciens. Fournir à chacun une tâche intéressante constitue un grand défi. (Strauss, référant à Wagner, parle d’obtenir « l’implication spirituelle des exécutants ».) Par ailleurs, puisque d’une part, l’oreille est incapable de suivre des textures très denses, on ne peut constamment écrire des contrepoints touffus. D’autre part, l’abus de doublures rend le son “grisâtre” sans susciter pour autant l’intérêt des exécutants.

Cette contradiction entraîne une relation complexe entre l’orchestration et l’écriture des parties, particulièrement quand – il faut bien justifier le coût d’utilisation d’un orchestre – on cherche à utiliser suffisamment chacun des exécutants.

Quand on compose une pièce orchestrale, on prévoit, la plupart du temps, des lignes conductrices claires. Habituellement, le compositeur réalise d’abord des croquis de ces lignes conductrices, puis ajoute graduellement les détails : en effet, si on vise une bonne cohérence auditive, il est préférable de travailler à partir de ce qu’on veut faire ressortir. Cependant, quand on passe du croquis à l’orchestration complète, la nécessité de fournir aux exécutants suffisamment de matériel intéressant tout en obtenant un résultat intelligible pour l’auditeur requiert des méthodes permettant de développer des lignes riches en détail sans surcharger l’écoute. Écrire systématiquement pour tout le monde n’est ni souhaitable ni utile ; la plupart du temps, seule une partie de l’orchestre joue. En modifiant constamment les groupes impliqués, le compositeur diversifie les textures. De plus, les exécutants profitent tous de traits intéressants sans que le résultat d’ensemble ne souffre d’une complexité exagérée.

(exemple du répertoire) Franck, Symphonie, 1er mouvement, mesure 171 et suivantes : en passant des cordes seules aux clarinettes et aux cors, pour revenir aux cordes avant de retourner aux bois sans les cors, on obtient une détente appréciée après les riches textures de la section précédente.

Plus il y a d’instruments, plus le compositeur a recours aux doublures. Cependant, les doublures littérales créent, à la longue, une sonorité lourde et grise. Par l’emploi de doublures plus sophistiquées, on peut cependant éviter ces problèmes :

  • En doublant à des intervalles autres que l’unisson : les doublures à l’octave ajoutent de la transparence tout en remplissent l’espace musical de façon intéressante et variée. À l’occasion, des doublures à d’autres intervalles, particulièrement dans l’aigu, peuvent créer d’intéressants timbres synthétiques (comme à l’orgue).

Symphonie n° 6, 2e mouvement : le marimba joue en nuance ppp, à la douzième par rapport aux violoncelles, qui jouent en nuance p. Le marimba et les violoncelles sont entendus comme constituant une seule unité, créant ainsi un timbre nouveau et inhabituel.

(exemple du répertoire) Ravel, Boléro, trois mesures après la reprise no 8 : le cor, en nuance mf, joue la mélodie, doublé par le célesta aux octaves supérieurs, pendant que deux piccolos doublent respectivement à la douzième et à deux octaves supérieurs plus une tierce majeure. La sonorité résultante, riche et perçante, rappelle un jeu d’orgue bien connu : le cornet.

  • Par de l’hétérophonie : au lieu d’être intégrale, chaque doublure peut présenter une variation ornementée de la ligne originale. Le contour général demeure clair tout en profitant d’une riche individualisation.

(exemple du répertoire) Mozart, Le Mariage de Figaro, Ouverture, mesure 150 et suivantes : même si à l’aigu les bois et les cordes suivent la même ligne d’ensemble, des différences de détail gardent l’orchestration claire et transparente, malgré le tutti.

  • Par des doublures qui se transforment en contrepoint (et vice-versa) : rien n’oblige à maintenir la doublure tout au long de la phrase ou de la section. La ligne qui double peut, à un moment approprié de la phrase (changement de motif, sommet, cadence, etc.), devenir plus contrapuntique (Le procédé inverse, du contrepoint à la doublure, est aussi possible).

(exemple du répertoire) Mendelssohn, Symphonie no 4, 1er mouvement, mesures 140 à 145 : la ligne du premier hautbois évolue, passant d’une doublure de la mélodie jouée par les cordes (combinées à d’autres bois) à un subtil contrepoint, en arrière-plan.

  • En doublant des éléments issus de différentes lignes : une doublure peut se promener d’une ligne à l’autre, créant une nouvelle ligne, sans vraiment ajouter de polyphonie à la texture.

(exemple du répertoire) Mahler, Symphonie no 9, 1er mouvement, mesures 365 et suivantes : le premier cor entonne un contrepoint intérieur, avant de doubler le violoncelle (mesure 368) puis le premier trombone (mesure 369).

  • Par une doublure partielle : on peut ne doubler que quelques notes d’une ligne, par exemple, le début ou la fin de la phrase, son motif principal, etc. On cible alors des éléments caractéristiques. La doublure peut ensuite disparaître, ou devenir, simple note tenue, une résonance de l’arrière-plan. L’inverse (une note tenue devenant une doublure) est également possible.

(exemple du répertoire) Mahler, Symphonie no 4, 1er mouvement, mesure 318 : les troisième et quatrième flûtes cessent subitement de doubler les premiers violons (ce qui renforce l’aboutissement du crescendo à un surprenant “p”).

En individualisant les doublures : au lieu d’utiliser mécaniquement les doublures, mieux vaut les individualiser. La sonorité gagne en subtilité et les exécutants profitent de traits intéressants à jouer. Grâce à ce pseudo-contrepoint, on utilise merveilleusement bien l’ensemble de l’orchestre.

Mouvement symphonique 1 : cet exemple illustre plusieurs des techniques ci-dessus. Les contrebasses ont une version simplifiée de la ligne principale des basses (hétérophonie) et disparaissent momentanément dans les mesures 241-2 ; le glockenspiel ne double qu’au début de la ligne mélodique principale, jouée par les violons et la flûte/piccolo ; les hautbois 1 et 2 alternent entre la doublure hétérophonique de la mélodie et le contrepoint réel ; les clarinettes ont une version simplifiée de la mélodie. Le résultat global : une texture riche, mais pas lourde.

PLANS SONORES

Par”plan sonore” (terme de D. F. Tovey) nous signifions un instrument ou une combinaison fondue d’instruments (pas nécessairement de la même famille) qui partagent un même contour rythmique. Il peut s’agir d’une ligne unique comme d’une texture plus massive. Lorsque simultanés, les plans sonores se distinguent par leur importance auditive respective : des plans peuvent être plus ou moins équivalents, comme dans un contrepoint sophistiqué, ou peuvent présenter des lignes principales combinées à des couches variées d’arrière-plan (lignes contrapuntiques secondaires, ajouts créant du mouvement, masses harmoniques, effets de résonance, etc.).

Comme nous l’avons répété tout au long de cette série de textes, l’auditeur ne peut porter, durablement, une attention égale à divers événements musicaux simultanés. Même dans un passage contrapuntique, l’oreille, plutôt que de suivre également les différentes parties, se promène d’une ligne à l’autre. En conséquence, le compositeur doit préciser clairement, en tout temps, ses choix d’avant et d’arrière-plans s’il veut éviter toute confusion.

Par définition, un plan sonore représente un ensemble fondu. On réalise ce fondu, dans un même plan sonore, par des couleurs et des rythmes semblables, une écriture serrée (qui évite tout “creux”) et une balance équilibrée (grâce à des éléments de même force). Quand les timbres manquent d’uniformité, comme chez les bois, certaines stratégies, tel que le chevauchement des instruments en intervalles serrés, permettent de déjouer l’oreille et de créer un son d’ensemble unifié.

(exemple du répertoire) Tchaikovsky, Symphonie no 5, 1er mouvement, mesures 411 et suivantes : selon un procédé très courant, les clarinettes et les hautbois sont imbriqués pour obtenir un meilleur fondu.

Des plans sonores distincts exigent une individualisation forte, grâce à des contrastes de registre, de timbre et/ou de rythme.

(exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie no 6, 1er mouvement, mesures 97 et suivantes : accompagnés aux cordes dans des registres plus graves, les bois à l’aigu font clairement ressortir le thème.

Les divers plans sonores peuvent être égaux (habituellement en succession, comme dans un dialogue) ou présenter une certaine hiérarchie.

Si les plans dialoguent, il faut s’assurer d’une équivalence à la fois de force et de volume (d’”épaisseur”). Les couleurs, le registre et le rythme génèrent alors le contraste.

(exemple du répertoire) Brahms, Symphonie n° 4, Finale, mesures 81 et suivantes : Des accords aux cordes (sans les contrebasses) alternent, avec légèreté, avec des accords à six bois.

Pour équilibrer des cordes plus lourdes, on ajouterait, par exemple, des cors (à la fois pour la richesse et pour le volume).

Dans le cas de plans hiérarchisés, chaque plan doit posséder ses propres caractéristiques en fonction de l’importance de chacun dans le résultat sonore visé. Bien que plusieurs avant-plans ne soient pas possibles, plusieurs arrière-plans peuvent coexister.

L’avant-plan

L’avant plan doit ressortir de l’ensemble. En conséquence, il est habituellement plus sonore, il jouit d’un timbre très coloré et on le place en évidence (par exemple, au soprano). Dans le répertoire, les exemples pertinents abondent.

L’arrière-plan

L’arrière-plan : ces plans secondaires servent à créer soit du mouvement, soit de la résonance.

Mouvement

Le mouvement constitue l’essence même de la musique. Qu’il s’agisse de contrepoint, d’harmonie ou, évidemment, de structure formelle, le contrôle du mouvement demeure toujours d’une importance capitale. L’orchestration ajoute un nouvel aspect à cette problématique du mouvement. Si tous les instruments bougent selon un même plan rythmique, plus on dispose d’instruments, plus on crée de pesanteur. Il faut en conséquence, dans un tutti, même homophonique, de quelque durée, prévoir de légères différences rythmiques entre les parties et les familles.

On peut aussi, avantageusement, regrouper les éléments musicaux d’importance secondaire en un nouveau plan sonore ; plutôt qu’inconvénient, la masse orchestrale devient alors avantage. Grâce au mouvement ainsi créé, on anime la texture, on l’éclaire et on favorise des jeux d’ombre et de lumière ; les contours gagnent en subtilité. Des tours de force orchestraux – pensons à Daphnis et Chloé de Ravel, à La Chevauchée des Walkyries de Wagner et à bien d’autres – ont fait naître de telles ambiances, d’une exquise richesse d’évocation.

On retrouve, fréquemment utilisés, quatre procédés de base de mouvement orchestral. Chacun de ces procédés peut servir tel quel ou être renforcé par des ajouts contrapuntiques (notes voisines ou de passage, suspensions, etc.).

  • Trilles et trémolos : (exemple du répertoire) Wagner, Les Walkyries, début du 3e acte : le thème de “La Chevauchée” est enrichi par des trilles aux bois, ce qui en accroît l’intensité.

  • Notes répétées : (exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie no 5, 2e mouvement, mesure 205 (coda) : le thème au basson est accompagné d’accords répétés (entrecoupés de silences qui accentuent le caractère hésitant) aux bois.

  • Gammes : (exemple du répertoire) Wagner, Les Maîtres-Chanteurs, Ouverture, mesure 42 et suivantes : les gammes aux cordes (remarquez la ligne de basse simplifiée) ajoutent vitalité et énergie au majestueux thème en accords confié aux bois.

  • Arpèges : (exemple du répertoire) Brahms, Symphonie no 3, début du 3e mouvement : le compositeur élabore, à partir de simples arpèges, un superbe accompagnement aux cordes.

Pour être réussi, ce type de mouvement (par opposition à un véritable contrepoint en arrière-plan) ne doit pas exagérément attirer l’attention. Cependant, à l’intérieur d’un plan sonore plus discret, il doit ressortir clairement. Aussi, on utilise habituellement un ou deux motifs légèrement variés, présentés de façon très consistante, dans les quelques mêmes timbres. Souvent, de judicieux silences mettent en lumière l’accompagnement ainsi créé.

Enfin, notons qu’un mouvement orchestral rapide peut servir à préciser la direction : on peut renforcer des montées ou des descentes puissantes par des gammes rapides, aux bois ou aux cordes, dans le même sens, par des glissandi de harpes, etc. Ces effets de mouvement sont souvent organisés différemment d’un instrument à l’autre et créent, mieux que des doublures, un climax généralisé.

(exemple du répertoire) Strauss, La Femme Sans Ombre, 1er acte, reprise no 6 : remarquez comment quelques lignes montantes, distinctes et simultanées (combinées avec des notes tenues pour la résonance), permettent de dessiner une ombre vaporeuse qui s’élève.

Ces différents types de mouvement peuvent également être combinés :

Variations pour orchestre : la harpe et le célesta jouent des arpèges en filigrane, avec des notes occasionnellement non harmoniques, tandis que les flûtes couvrent la même harmonie avec des accords répétés. Les premiers violons ajoutent cependant de l’animation avec des trilles réguliers. Le tout sert à créer un arrière-plan riche à la ligne principale, dans les cors.

Résonance

La résonance, le plus discret des plans, ne doit pas habituellement attirer l’attention. Elle sera donc caractérisée par les timbres les plus doux, les registres les plus neutres et l’activité la plus réduite. De plus, la résonance utilisera normalement le même registre que le premier plan pour éviter d’être perçue isolément.

Symphonie n° 8 (début) : les notes tenues délicates dans les violons (harmoniques) et les altos procurent un arrière-plan résonant mystérieux pour l’idée principale présentée dans les flûtes et les bassons.

(exemple du répertoire) Mozart, Symphonie no 41, 1er mouvement, mesure 103 et suivantes : la douce note tenue du hautbois offre une subtile, mais combien émouvante, résonance au thème des cordes.

Pour la richesse, les arrière-plans sont souvent composés de plusieurs éléments. En effet, un maître-orchestrateur se caractérise, entre autres, par le raffinement et la profondeur de ses arrière-plans orchestraux. Bien entendu, ces divers éléments doivent se compléter sans confusion pour l’auditeur : les silences et les motifs intermittents permettent de les espacer tout en maintenant la clarté de l’ensemble.


Night Passages : l’énergie et la légèreté résultent des trilles aigus dans les bois et les violons, combinés aux gammes ascendantes des clarinettes, qui contribuent à l’élan. Les bassons apportent une résonance intermittente et douce dans le registre medium. Les deux premières mesures sont compensées par un pizzicato aux cordes et une percussion au triangle. Les pizzicati des altos et des deuxièmes violons dialoguent. L’arrivée de la ligne principale dans les cors est marquée par les timbales qui doublent leur rythme initial. Ces nombreux éléments sont arrangés dans des patterns récurrents, aux registres distincts et espacés par des silences pour maintenir leur clarté.

L’ORCHESTRATION CONTRAPUNTIQUE

L’orchestration du contrepoint présente quelques difficultés :

  • Réussir l’équilibre sonore des lignes : si on présuppose des lignes d’égale importance, le plus simple consiste à attribuer toutes les lignes à une même famille d’instruments (ou, pour un son plus épais, aux mêmes familles – chaque ligne étant doublée par une combinaison équivalente d’instruments). Attribuer aux diverses lignes contrapuntiques différentes couleurs (pures ou en doublure) exige une égalité des couleurs tant par la force que par le volume. On n’utilisera cette dernière méthode que pour de courts passages car elle fatigue l’oreille. Elle convient d’ailleurs mieux au contrepoint stratifié (voir notre texte sur le contrepoint) qu’au contrepoint imitatif. (exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie no 7, 2e mouvement, mesure 185 et suivantes : le contrepoint est entièrement confié aux cordes. (exemple du répertoire) Mahler, Symphonie no 5, Final, reprise no 3 : les thèmes contrastants sont assignés à deux groupes d’instruments : les cordes et les bois aigus. Remarquez le trille au violon qui ajoute du mouvement.
  • Souligner les entrées : dans un contrepoint aux nombreuses entrées en imitation, il est souvent efficace d’accentuer le début des entrées principales, en renforçant orchestralement, d’une façon ou d’une autre, les premières notes. (exemple du répertoire) Mahler, Symphonie no 5, Final, mesure 136 : la doublure des premières notes des cordes par le cor, dans son registre lumineux, souligne le début d’une nouvelle section.
  • Intégrer l’ensemble des parties comme un tout cohérent, exempt de sécheresse. La basse continue de l’époque baroque répondait au besoin d’unifier, de façon cohérente, la texture contrapuntique. Même si de brefs passages utilisant des timbres semblables peuvent, occasionnellement, être laissés tels quels, il est généralement conseillé d’ajouter, de temps en temps, derrière les lignes principales, un second plan constitué d’harmonies complètes, généralement dans le registre médium, ou constitué de notes tenues issues de la fin de phrases mélodiques précédentes. Ainsi, on élimine à la fois les problèmes de texture “sèche” et la fatigue auditive causée par la présence de lignes toutes de premier plan. (exemple du répertoire) Mahler, Symphonie no 5, 3e mouvement, mesure 799 : des accords tenus aux trombones permettent de fondre, en un tout unifié, un vigoureux tutti contrapuntique.

Symphonie n°6, 1er mouvement : la plupart des lignes sont doublées par des timbres mixtes riches. La plupart des instruments de doublure changent de rôle à des points clés de leur phrase, soit pour doubler un ligne différente (Bn. 1, mesures 112-113), soit pour disparaître après avoir souligné une entrée (Tbns. mesures 114-115). Parfois, ils laissent derrière eux une note soutenue (Hns. mesure 115) pour éviter la sècheresse.

LE TUTTI

On peut parler d’un tutti orchestral quand on utilise, simultanément, au moins trois des quatre familles d’instruments. Comme le nombre d’instruments alors impliqués dépasse largement le nombre de parties réellement audibles, le défi d’un tutti consiste à créer un ensemble riche et cohérent où chaque élément apporte une contribution significative.

La recherche d’équilibre, entre les masses sonores, impose des contraintes acoustiques qui limitent les possibilités d’organisation d’un tutti : les cuivres et les percussions génèrent, inévitablement, le plus de puissance. Certaines combinaisons, par exemple, les bois dans le médium pendant que les cuivres jouent forts ne fonctionnent jamais. D’où la conclusion paradoxale suivante : plus il y a d’instruments, moins il y a de combinaisons possibles. Aussi, plusieurs compositeurs contemporains préfèrent considérer l’orchestre comme un ensemble de groupes plus intimes, qu’ils vont d’ailleurs souvent mettre en vedette grâce à une organisation spatiale inhabituelle, qui permet d’intéressants effets stéréophoniques. Ceci étant dit, il nous semble que si on écrit pour orchestre, on devrait vouloir faire entendre tous les instruments ensembles au moins une fois.

Si, habituellement, les tutti sonnent fort, à l’occasion, un tutti doux (pensons, par exemple, au 1er mouvement de la 9e symphonie de Beethoven, aux mesures 469 et suivantes) peut être très efficace. L’effet résultant suggère souvent une menace, compte tenu de l’énorme puissance qui demeure retenue.

Voici les principales façons d’organiser un tutti :

  • Toutes les familles présentent une harmonie complète, incluant les éléments importants ; chacune conserve cependant son indépendance dans le détail de l’écriture des parties. Cette façon de faire, très répandue, donne un son riche et sans grisaille. (Parfois, quand une solide section de cuivres couvre l’ensemble des registres, les bois, et même, plus rarement, les cordes, évitent le médium ; en concurrence avec les cuivres, ils seraient, de toute façon, plus ou moins inaudibles.) L’unité harmonique assure la cohérence de l’ensemble et les différences entre les familles créent de subtiles touches de couleur.

Symphonie n° 5, Final : les cordes jouent les voix externes en octave. La basse est doublée dans les bassons et les timbales (avec quelques sauts d’octave), tandis que les bois aigus complètent l’harmonie sur les cors. Notons que les lignes des trompettes et des bois les plus aigus sont différentes de la mélodie des cordes : comparativement à une doublure intégrale, cet arrangement permet d’obtenir un résultat plus riche. Les trombones et les cordes sont en pleine harmonie, dans le registre medium/grave. Les cymbales, les tam-tam et les tambours graves marquent des accents importants.

(exemple du répertoire) Wagner, Les Maîtres-Chanteurs, début du Prélude : chaque famille expose des parties indépendantes. Même si les bois commencent en doublant la mélodie principale des violons, dès la mesure 7, ils ajoutent des détails de leur cru.

  • Chaque élément musical est attribué à une seule famille. Ainsi, grâce à des timbres caractéristiques, tout ressort clairement.

Symphonie n° 6, Final : tandis que les cuivres exécutent un motif harmonique important, ainsi que sa diminution, les cordes et les bois évoluent plus rapidement et nerveusement en octave. Cette doublure est nécessaire pour que l’idée ressorte dans les accords aux cuivres. Notons que le piccolo, en particulier, clarifie la ligne rapide.

(exemple du répertoire) Tchaikovsky, Symphonie no 5, Final, mesure 474 et suivantes : pendant que les cordes jouent la mélodie principale en octave, les cors et les bois exécutent un important double accompagnement contrapuntique. Des notes répétées, confiées aux cuivres graves et aux contrebasses, complètent le tout.

  • Enfin, chaque famille peut simplement doubler intégralement chacune des parties. Même si cette méthode peut convenir à de courts et vigoureux passages, elle produit habituellement une sonorité lourde et grise.