La forme musicale – Lexique des formes

INTRODUCTION

Nous avons essayé, tout au long de cet ouvrage, de ramener la forme musicale à des principes psychologiques simples. Nous avons donc énoncé la tâche du compositeur en ces termes.

Une forme dite « standard » n’est qu’un modèle de construction dont l’usage fréquent justifie ce qualificatif. Ceci dit, deux mouvements en « forme sonate » peuvent être bâtis tout à fait différemment et présenter des caractères distincts. L’utilité des « formes standard », dans la mesure où leur classification a un sens, repose selon nous sur le fait qu’elles répondent aux questions formelles soulevées tout au long de notre étude. Bien d’autres formes peuvent répondre aux mêmes besoins psychologiques et apparaître à titre exceptionnel dans le répertoire; d’autres attendent encore de voir le jour.

Ce chapitre traitera de certaines de ces formes standard et la façon dont nos principes s’y appliquent. Compte tenu qu’elles sont relativement connues, nous examinerons plutôt la façon dont elles reflètent les principes formels généraux.

Nous aborderons d’abord les formes plus petites puis poursuivrons avec les plus grandes.

FORMES

Phrase

Toute phrase est un microcosme qui contient tous les éléments de base d’un plan satisfaisant. Il doit y avoir un début qui suscite l’intérêt, un développement cohérent qui sollicite davantage l’auditeur et une fin qui donne le sentiment de résolution. Le degré de ponctuation est déterminé par l’emplacement de la phrase dans la pièce.

Période

Une période contient deux phrases en forme de question-réponse. Leur lien résulte en grande partie des cadences : la première est ouverte, la seconde fermée. L’auditeur entend la seconde phrase dans le sillage de la première et saisit clairement le lien antécédent-conséquent, tout au moins au début et à la fin de la seconde phrase. Comme dans toute phrase, l’auditeur doit être sollicité immédiatement, éprouver ensuite une intensification progressive, et enfin, remarquer une conclusion.

Double période

C’est une structure symétrique, donc stable et prévisible, dont l’intensité croît également progressivement. La tension s’étale par contre sur quatre phrases. Les trois cadences internes sont subordonnées à la finale, dont la désinence est proportionnellement plus accusée.

Sa stabilité, facile alors à retenir, rend cette structure très utile pour présenter du nouveau matériau. On la retrouve plus souvent dans une exposition que dans un développement.

Groupe de phrases

Il s’agit d’une suite de phrases liées entre elles mais qui ne présente pas l’évidente symétrie d’une période ou d’une double période. La dernière cadence s’avère la plus importante. Le groupe de phrases est ainsi moins prévisible que la période (ou la double période) même s’il obéit à une structure clairement hiérarchisée (autour des cadences). On peut y avoir recours pour adoucir les effets d’autres structures régulières et trop carrées.

Succession de phrases

Une succession de phrases permet d’éviter une organisation hiérarchique de cadences. Elles contiennent même, souvent, du matériau différent. On la retrouve en général dans des transitions ou des développements, du fait de sa structure changeante et quelque peu imprévisible. Comparée à la période ou à la double période, son organisation est plus contrastante. Il existe également un genre de succession de phrases particulier et symétrique, appelé marche. C’est une forme dans laquelle le même modèle est répété en transposition. Une marche génère un certain élan qui doit être interrompu, tôt ou tard, par un élément asymétrique.

Variation classique

Cette technique se fonde sur la différence entre une structure sous-jacente et sa réalisation ornée. Dans la variation classique, la structure de la phrase et le contour harmonique sous-jacents du thème original ne changent pas. Ce sont les motifs et figures d’accompagnement à la surface qui apportent une nouveauté. La mélodie originale peut constituer ou non le modèle mélodique d’une variation donnée.

Le thème d’une série de variations doit obéir à plusieurs impératifs structurels précis :

  • son harmonie doit être simple. Des variations qui répètent toujours la même progression inhabituelle ou compliquée finissent par lasser et sont difficiles à ornementer de façon convaincante car ce genre de progression repose souvent sur une conduite des voix très particulière.
  • la structure de la phrase doit être claire. Cette forme a un effet cumulatif, car l’auditeur saisit peu à peu la périodicité de la structure thématique qui se dégage de sa répétition. Une structure vague ou imprécise brouille facilement le rapport au thème.
  • les formes en ABA ne sont pas indiquées car la répétition de la section A, tout au long des variations, devient lassante. Un thème de variation est binaire la plupart du temps et peut comprendre un certain degré de récapitulation.

Du fait que la variation dans son ensemble est une forme périodique et répétitive, son plan global peut devenir prévisible à l’excès. On peut éviter ce danger, entre autres, en regroupant les variations dans des progressions. Ainsi, plusieurs variations consécutives peuvent accélérer ou se densifier, par exemple. Ceci, agrémenté de quelques contrastes soudains et colorés entre les variations, contribue à créer une macro-structure plus intéressante.

Du fait de la construction périodique de cette forme, sa conclusion requiert un soin particulier. La dernière variation se détache normalement des autres par rupture avec le cadre structurel du thème. La modification va du simple ajout d’une prolongation cadentielle à la refonte de la variation finale entière dans une autre forme, fugue ou sonate par exemple. Dans ce cas-ci, la nouvelle mélodie est en général apparentée au thème original.

Forme ternaire simple

Cette forme en ABA repose sur le principe structurel le plus fondamental qui soit : la variété qui mène à une reprise. Sous sa forme la plus simple, cette dernière peut être littérale. La prévisibilité qui en résulte convient surtout à de courts mouvements de caractère légers, tels que les mouvements de danse dans la symphonie classique (des idées plus dramatiques nécessitent des formes plus complexes qui permettent davantage de suspense architectural).

Les sections principale et intermédiaire d’une forme ternaire simple sont fermées : chacune se termine par une cadence absolument finale et peut se suffire à elle-même. La section intermédiaire possède son propre motif et est écrite dans un ton voisin (s’il s’agit d’harmonie tonale). Le contraste entre sections ne doit toutefois pas être exagéré, ce qui donnerait l’impression de deux pièces tout à fait distinctes, compte tenu de la nature discontinue de la forme.

Des formes ternaires plus complexes incorporent des transitions et quelquefois une reprise ornée afin d’atténuer la rigidité du cadre de base.

Forme rondo simple

Cette forme ne fait que prolonger les principes de la forme ternaire (énoncé, contraste, reprise) : elle contient plusieurs épisodes contrastants avec retour du matériau initial entre chacun. On peut raffiner cette forme assez rudimentaire en :

  • variant les reprises (y compris en les écourtant),
  • variant les transitions avant ou après le thème principal,
  • variant les proportions des sections,
  • ajoutant une coda afin de renforcer la fin.

Forme binaire

On en trouve de nombreuses sortes : les deux parties peuvent être symétriques ou non; la première partie peut se terminer par une cadence finale (« forme binaire discontinue ») ou ouverte (« forme binaire continue »); la seconde partie peut faire entendre ou non des éléments de la première partie en vue de consommer la forme. Il est d’usage que les deux sections développent le même matériau. Chacune peut être flanquée d’une double barre de reprise. La première partie est en général une forme fermée, à l’instar de la période ou de la double période.

Dans les formes binaires plus simples (symétriques, discontinues), le principal aspect contrastant de la seconde partie se retrouve dans l’harmonie.

Dans les cas plus complexes, la seconde section commence comme un mini-développement. Sa structure est moins stable et prévisible et comporte souvent des marches. (Il est à noter que la marche repose sur le principe de progression qui lui confère une prévisibilité. En revanche, l’auditeur ne peut prévoir la fin des répétitions,à l’inverse de la période, par exemple.) La récapitulation de la forme, par le retour du matériau de la première partie, restaure la stabilité et renforce la conclusion.

Forme ternaire complexe

Cette forme fait clairement intervenir une hiérarchie : chaque section de la forme globale est une forme binaire (généralement continue, souvent arrondie). Ceci a pour effet d’élargir et d’étoffer la forme globale.

On peut raffiner la forme ternaire complexe en :

  • ajoutant des liens entre certaines ou toutes les sections principales,
  • atténuant la conclusion de la section intermédiaire afin de créer une transition menant à la reprise, variant la reprise.

Scherzo beethovénien

Le scherzo beethovénien pousse les frontières de la forme ternaire complexe, pour englober une reprise de la section intermédiaire ainsi qu’une reprise finale du thème principal. On y exploite le sentiment de « tourner en rond », en ajoutant au moment donné une nouvelle direction, ou une abréviation inattendue. Par example, à la dernière reprise du thème principal il peut y avoir une suggestion d’un troisième retour du thème du milieu aussi, interrompu aussitôt.

Cette conception déjoue l’attente de l’auditeur de façon subtile. Les transitions peuvent être aussi plus complexes.

Forme Sonate

Cette forme est un élargissement de la forme binaire arrondie (et non de la forme ternaire, dont les sections se suffisent à elles-mêmes). L’intensité et la richesse qu’elle renferme reposent sur :

  • l’ampleur : une durée longue qui fait entendre du matériau hautement contrastant
    des présentations initiales du matériau stables, liées entre elles par une transition,
  • un suspense à grande échelle créé par une ponctuation ouverte importment de la tonique au début du développement, avec pour effet une interruption formelle qui garde le suspense à un niveau élevé
  • un développement aux structures contrastées : instabilité accrue, recours à l’effet de surprise,
  • une ré-exposition substantielle permettant de consommer la forme avec répétition du second groupe dans la tonalité principale pour renforcer la stabilité.

La forme sonate est donc une structure narrative détaillée et riche en suspense qui permet de fréquentes digressions et élaborations, ainsi que des équilibres complexes. Elle permet également de jouer avec le matériau dans différents contextes formels.

Son suspense inhérent convient particulièrement à de longues pièces. Cette forme s’adapte à différents styles harmoniques car ses principes fondamentaux répondent aux conditions psychologiques de maintien de l’intérêt et de l’intensité sur une longue durée (équilibre reposant sur une reprise variée, matériau et construction assurant contraste et suspense, développement intensif du matériau dans divers contextes formels, transitions complexes et variées reliant des caractères contrastants).

La forme sonate fait d’ordinaire entendre une exposition, un développement et une ré-exposition. Peuvent également y figurer une introduction et/ou une coda.

Forme sonate-rondo

Elle est semblable à la précédente, à la différence près que le développement est précédé d’une reprise du thème principal en forme de rondo; le développement lui-même a l’aspect du deuxième épisode d’un rondo normal. La reprise du thème principal après le matériau contrastant diminue considérablement la tension. Cette forme convient donc à une musique moins dramatique.