La forme musicale – Le commencement
LES ÉLÉMENTS STRUCTURELS ET LEUR FONCTION PSYCHOLOGIQUE
Les considérations qui suivent reflètent une réalité formelle simple mais souvent oubliée : on ne peut pas permuter des sections, même si elles découlent du même matériau. (Les conséquences pour l’analyse sont importantes. Il ne suffit pas de souligner les liens et incidences entre les idées; l’analyste doit également justifier l’emplacement de ces idées dans la forme.)
Chaque section d’une pièce solidement construit a une fonction psychologique organique; les fonctions sont ancrées dans l’évolution chronologique de la pièce. Voici quelques exemples.
LE DÉBUT D’UNE PIÈCE: CONDITIONS STRUCTURELLES
Peut-on généraliser la manière dont devrait commencer une oeuvre musicale? (Il ne s’agit pas ici du début de l’acte de composer mais des propriétés de ce que l’auditeur entend effectivement.) Alors qu’un survol de la littérature révèle une très grande diversité des commencements, une simple expérience montre qu’il est possible de définir au moins certains paramètres de gestes initiaux appropriés, et d’en exclure d’autres. Cette opération découle de notre axiome (et le confirme) qui veut que l’emplacement d’un passage dans un déroulement musical en détermine le sens de façon essentielle.
Il s’agit simplement de commencer l’oeuvre par sa fin. Même si l’on commence au début d’une phrase finale, la conclusion, prise comme commencement, laisse presque toujours à désirer. Peut-on concevoir le déplacement de la fin de la 5e Symphonie de Beethoven vers le début du premier mouvement? Le résultat en serait ridicule. Pourquoi? Parce que la simple affirmation tonale et la répétition rythmique de la tonique sur de longues durées dans une forme dépouillée de tous sornements indiquent une conclusion plutôt qu’un commencement. L’impression en est une d’arrivée et non de départ.
Pendant les première secondes d’une pièce, le compositeur tente d’inviter l’auditeur à poursuivre l’audition. Pour employer une métaphore, si un commencement vise à susciter un intérêt, il doit poser une question.
QUELQUES GESTES INITIAUX TYPIQUES
L’examen révèle que certains gestes conviennent davantage que d’autres à un commencement. Il est en outre possible de classer ces gestes et de généraliser à leur sujet. Leur point commun est de constituer une provocation qui appelle en quelque sorte une élaboration et une continuation; ils suscitent ainsi la « question » mentionnée ci-dessus.
Les gestes suivants sont parmi ceux que les compositeurs utilisent normalement en début de pièce. (Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, et si les procédés indiqués sont efficaces, ils n’excluent aucune autres solution novatrice, visant à susciter l’intérêt de l’auditeur.)
- Crescendo et/ou élargissement marqué du registre au cours de la première phrase : créateur de tension et d’énergie, un crescendo indique un but (futur). L’élargissement du registre a pour effet d’ouvrir un nouvel espace. (exemple du répertoire) Beethoven, Sonate pour piano op. 10 #3, 1er mouvement.
- Lignes ascendantes : parce qu’on pense à la voix sans doute, on associe une mélodie ascendante à une tension accrue. (Ce n’est pas par hasard si le mot servant à décrire la fin d’une pièce, la cadence, provient de « cadere », tomber en latin.) (exemple du répertoire) Beethoven, Sonate pour piano op. 2 #1, 1er mouvement.
- Harmonie non résolue et autres phrases incomplètes : si l’harmonie crée une attente qui n’est pas rapidement assouvie, il n’y a pas de conclusion. Un geste incomplet crée un suspense. (exemple du répertoire) Beethoven, Sonate pour piano op. 31 #3, 1er mouvement.
- Diversité rythmique et valeurs rythmiques contrastantes, ou contrastes brusques entre motifs : la juxtaposition d’éléments rythmiques dissemblables crée en général un mouvement discontinu. La musique en devient moins prévisible et concluante et, par le fait même, plus apte à susciter de l’intérêt. (exemple du répertoire) Beethoven, Sonate pour piano op. 31 #2, 1er mouvement.
- Discontinuité orchestrale et de registres : le timbre et le registre sont parmi les paramètres que l’auditeur distingue le plus facilement. Des changements brusques à leur niveau suggèrent un retour ultérieur. (exemple du répertoire) Mozart, Symphonie Jupiter, 1er mouvement : tutti suivi des cordes seules.
Voici un exemple combinant certaines de ces méthodes.
Symphonie #3, 1er mvt. : la ligne montante, avec son articulation un peu imprévisible, engendre de l’élan. Lorsqu’elle descend (m. 5-7), la ligne aboutit en un crescendo et l’octave inferieure y est ajoutée ; elle est ensuite interrompue par les timbales. La phrase suivante commence sfp. Tous ces gestes créent du suspense et de l’énergie ; aucun n’évoque une fin.
Un début réussi ne suppose pas tous ces éléments à la fois. Un seul de ces gestes (ou un geste combinant plusieurs de ces caractéristiques) suffit à attirer l’attention et à piquer la curiosité.
Une dernière précision : ces gestes ne se limitent pas uniquement aux commencements, et on les trouve souvent, par exemple, dans des transitions. Retenons simplement qu’un geste qui ne suggère pas à l’auditeur, d’une façon ou d’une autre, qu’« autre chose va suivre » ne réussira probablement pas à susciter son intérêt. Employé ailleurs, un geste initial typique sera souvent atténué par d’autres éléments.
L’OUVERTURE EN TANT QUE SECTION DISTINCTE
Même si les commencements ne constituent pas tous des sections distinctes, les grandes formes traditionnelles en comportent suffisamment pour qu’on puisse en décrire les caractéristiques.
L’introduction
Le but de l’introduction, comme tout commencement, est de susciter l’intérêt. Sous forme de section distincte, elle atteint cet objectif de façon assez marquante. Un mouvement rapide propose souvent une introduction plus lente. On s’attendrait à y trouver exposé le matériau de la section suivante mais un examen du répertoire indique qu’il n’y a pas forcément de lien thématique entre les deux sections
(exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie #7, 1er mouvement. Alors qu’il n’y a pas de lien thématique clair avec le matériau de l’allegro, l’introduction fait entendre des modulations (notamment à IIIb et VIb) qui annoncent les régions tonales les plus marquées du mouvement.
Quelle que soit sa structure interne, une introduction se termine avec un effet de levée (harmonique, rythmique, etc.).
Quatuor #4, 1er mvt. : cette introduction est assez différente de l’Allegro qui suit. L’élément commun – le saut de 9e mineure ré-mib – est plutôt subtil. La raison d’être de cette introduction est d’éviter un début trop brusque au mouvement (comparer l’effet de commencer directement à la m. 11). L’introduction ajoute aussi une certaine richesse émotive, par contraste. (Des passages lents reviennent plus tard.) La gamme montante au vc. (m. 10), et le mib au 1er vln mènent tous les deux au ré au passage suivant. La ligne du vc. demeure à l’évidence incomplète.
(ex du répertoire) Bartok, Concerto pour orchestre : une levée rythmique et harmonique (une harmonie manifestement instable créant un appel vers l’harmonie qui suit), ainsi que dynamique (un crescendo), etc en font un début fort et convainquant.
L’exposition
Le matériau d’une exposition distincte est présenté de façon à ce que l’auditeur puisse se le rappeler aisément. La manière la plus courante d’y arriver consiste à l’exposer au sein d’une structure stable. Une absence de changement majeur et une ponctuation claire dans des structures équilibrées (et souvent symétriques) facilitent la mémorisation. La symétrie met également en relief les éléments répétés, aidant ainsi davantage l’auditeur.
Symphonie #4, 1er mvt. : Ce début est une large double période. Il y a quatre phrases (m. 1, 14, 22, et 35). La première et la troisième phrase se ressemblent, comme d’ailleurs la deuxième et la quatrième. La structure devient moins régulière, mais seulement plus tard (après la fin de l’extrait). Cette structure stable permet à l’auditeur « d’apprendre » quelques thèmes importants.