La forme musicale – La conclusion
COMMENT PEUT-ON FINIR UNE PIÈCE DE FAÇON CONVAINCANTE?
Une conclusion satisfaisante est une des contraintes formelles les plus difficiles à respecter. De par son emplacement, elle subit le poids de toute la pièce et repose par conséquent sur plusieurs équilibres complexes : elle doit satisfaire l’auditeur à plusieurs niveaux architectoniques à la fois. Elle doit résorber complètement tout élan motivique, rythmique, dynamique ou mélodique non résolu. Nous nous pencherons, en premier lieu, sur le problème de la résolution pour aborder par la suite l’usage de la coda en tant que section distincte. Enfin, nous passerons en revue certains gestes finaux typiques.
Ce chapitre comportera moins d’exemples car les procédés discutés sont peu nombreux et se retrouvent partout.
RÉSOLUTION : LA QUESTION PRINCIPALE
La cadence finale ne doit, en aucun cas, être ambiguë. Elle doit conclure de façon catégorique et signifier clairement à l’auditeur que tous les paramètres musicaux, locaux et à grande échelle, ont été consommés.
Elle agit, de façon plus précise, sur :
- l’harmonie,
- la ligne mélodique,
- le rythme,
- les nuances.
La résolution doit être aussi catégorique et finale que possible.
Cette résolution finale ne doit pas être suivie d’aucun élément nouveau (on aurait alors l’impression d’une continuation).
(exemple du répertoire) La Sonate #9 pour piano de Prokofiev est à cet égard intéressante : la fin de chacun des trois premiers mouvements fait entendre une phrase qui annonce le thème du mouvement suivant. Le dernier mouvement rappelle le thème principal du premier. Les quatre mouvements forment donc un tout intégré.
RÉCAPITULATION
(N.B. : Il s’agit ici du procédé et non de la section communément appelée ré-exposition, ou « recapitulation » en anglais.)
Au niveau de la forme globale, les repères peuvent être des reprises plus ou moins littérales de sections entières. Ces reprises importantes aident l’auditeur à s’orienter. De plus, ce procédé de récapitulation de la forme, qui marque le retour vers la stabilité, renforce la conclusion. L’auditeur connaît déjà le matériau et peut donc se détendre car la musique le sollicite moins.
GESTES FINAUX
Alors que certains gestes conviennent mieux au commencement d’une pièce, d’autres indiquent une fin. Cette partie est un moment d’intensité minimale ou maximale qui donne l’impression que l’on ne peut aller plus loin, d’où le sentiment de conclusion.
Voici maintenant les types de conclusion les plus courants : en apogée et en apaisement.
En apogée
Ce genre de fin est constitué du climax le plus imposant et impressionnant de l’oeuvre. Les aspects tels que le rythme (la force d’accentuation au sommet, plus précisément), les dynamiques, le registre ou l’orchestration, sont poussés simultanément à leur point d’incandescence.
Il y a des différences entre un climax final et un climax interne. Ce dernier doit maintenir l’attente d’une continuation car le mouvement se poursuit effectivement. Il doit donc faire entendre des indices à cet effet. Ainsi :
- un élément, au moins, servira à maintenir l’élan après le sommet,
- la résolution, au lieu d’être la plus définitive possible, est relative (à la tension qui la précède, par exemple),
- le point d’arrivée est souvent plutôt bref par rapport à la durée de la montée,
- le climax est généralement suivi d’éléments nouveaux.
Un climax final doit, quant à lui, signifier une fin définitive en consommant inéluctablement chaque paramètre musical.
Symphonie #6, final : Jusqu’à la toute fin, chaque arrêt dans la musique comprend au moins un élément qui demeure « incomplet » , p. ex. un attaque sur la levée, un crescendo sans arrivée, un accord non-résolu. À la dernière mesure seulement, tous les éléments sont résolus simultanément. Ce tutti est fort et long, sans rien de comparable ailleurs dans la symphonie.
En diminution
C’est une conclusion par effacement. La musique s’estompe jusqu’à disparaître : l’activité rythmique s’atténue, la texture s’allège peu à peu, le registre évolue en général vers un extrême (aigu ou bas).
Sonate pour piano : après le sommet principal de l’œuvre (m. 202), l’harmonie se dissout en une batterie lente et statique, aux extrêmes du clavier. Le registre grave disparaît, et le rythme ralentit complètement. Bien que non tonale, au sens conventionnel, la ligne de basse suggère un enchainement tonal de cadence (mi-la-ré).
Cas particuliers
Il se peut qu’une fin ne corresponde pas tout à fait à un des genres énumérés ci-dessus. Certaines oeuvres, au-delà des conditions minimales requises, connaissent une fin plus frappante. Le fait que l’auditeur retienne davantage la conclusion confère à cette dernière un rôle essentiel. Voici certains cas peu fréquents.
Symphonie #8 : suite au sommet principal de l’œuvre (m. 472-5), la musique semble s’évanouir, jusqu’à la douce interruption par la harpe. S’ensuit un accord final fort et brusque, terminant l’œuvre avec une surprise. Ce type de fin (s’inspirant de la fin du 2e acte des Maître-Chanteurs de Wagner) ne peut fonctionner que si elle est précédée, un peu avant, d’un passage fort.
(exemple du répertoire) Mahler, Symphonie #6, 4e mouvement : on s’attend d’abord à un climax fort. Suit un passage qui diminue peu à peu jusqu’à sembler s’arrêter presque totalement, puis un bref éclat qui s’estompe aussitôt. On imagine facilement que la pièce peut finir à chacune de ces étapes. Si Mahler outrepasse les règles de base d’une conclusion, ce n’est pas tant pour mettre en relief la conclusion que pour souligner l’impact dramatique et l’ampleur émotionnelle de la musique.
(exemple du répertoire) Berg, Wozzeck : la musique semble s’interrompre à mi-chemin. Il s’agit toutefois d’un opéra dont l’action mène à une conclusion. Musicalement, il y a cependant un ralentissement du rythme harmonique aboutissant à une harmonie relativement consonante.
LA FIN EN TANT QUE SECTION DISTINCTE : LA CODA
Dans une oeuvre d’envergure, le commencement peut gonfler jusqu’à constituer une introduction. Il en va de même pour la fin qui peut devenir une coda. Cette dernière a pour fonction de mettre la cadence finale en relief. Elle doit renforcer et concentrer l’impression de conclusion. Voici quelques moyens usuels pour y arriver:
- cadence répétée,
Symphonie #3, 1er mvt.: la coda commence à la m. 194. Elle épouse un tempo plus rapide, et elle consiste en de petites phrases nerveuses, souvent en crescendo qui engendrent beaucoup de tension. Cette tension n’est résolue qu’avec le tutti de la fin (m. 223-7).
(exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie #5, 1er mouvement, mesure 491 à la fin.
- mini-digressions en forme de développement qui reviennent cependant à leur point de départ de façon plus rapide et prévisible qu’un développement normal. Ces digressions accroissent temporairement la tension ainsi que l’attente d’une résolution. Lorsque cette dernière survient, son effet en est plus marqué.
(exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie #7, 1er mouvement, mesure 391 et suivantes : la coda commence par une modulation à un ton éloigné, à la manière plutôt d’un développement, pour revenir toutefois immédiatement au ton initial (mesure 391) et laisser la musique accroître son élan en vue du le climax final.