L’art orchestral – Introduction

POURQUOI CE TEXTE?

D’excellents traités d’orchestration existent déjà : le remarquable Principles of Orchestration de Rimsky-Korsakov demeure aussi actuel qu’au moment de sa publication. Les admirables volumes de Piston (“Orchestration”) et d’Adler (“The Study of Orchestration”) conjuguent information détaillée au sujet des instruments et judicieux conseils quant à leurs combinaisons.

Le magistral Traité de l’Orchestration de Koechlin constitue un cas unique : en quatre gros volumes, l’auteur partage l’expérience d’une vie à titre de maître-orchestrateur et couvre des sujets encore jamais traités. Ce présent texte doit beaucoup à Koechlin.

Dans mes textes précédents, je n’aborde pas, explicitement, l’utilisation de l’orchestration pour souligner et renforcer la forme musicale. Je le ferai maintenant et, poursuivant l’objectif général de la série, soit l’étude des techniques musicales selon leur effet audible, je tenterai de dégager quelques principes utiles.

Rimsky-Korsakov affirme : « Orchestrer, c’est créer : ça ne s’enseigne pas ». L’expérience confirme la justesse de son propos. Après avoir dispensé les notions de base relatives aux différents instruments, il est difficile d’enseigner l’art de l’orchestration, si on vise une certaine sophistication, à l’extérieur d’un contexte compositionnel. La transcription d’œuvres pour piano ou de musique de chambre, souvent utilisée comme méthode pédagogique, pose des défis intéressants mais liés, essentiellement, à des problèmes d’adaptation plutôt que de composition. Dans ce présent texte, nous ne traiterons pas de la transcription, un sujet déjà bien couvert ailleurs (par exemple, dans Orchestration de Joseph Wagner).

Qu’est ce que l’orchestration ? Pour nous, comme domaine d’étude, l’orchestration succède à l’instrumentation, cette étape préliminaire où l’étudiant explore le fonctionnement des instruments et réalise ce qui est raisonnablement jouable par un exécutant professionnel. La conception trop répandue à l’effet que l’orchestration n’est que l’attribution de timbres aux diverses lignes nous semble très inadéquate. Le timbre peut – et doit – servir à traduire le caractère musical. Cependant, son utilisation efficace exige une fine connaissance des textures – la résultante des combinaisons des lignes et des plans musicaux – et de l’effet des changements de timbre sur la perception de la forme musicale. En fait, aucun aspect de la musique n’est indépendant du timbre : le timbre affecte même la réalisation d’exercices élémentaires d’harmonie puisque l’effet tensif des appoggiatures varie fortement selon qu’on écrit pour voix, cordes, ou piano. En conséquence, nous définirons l’orchestration comme la composition à partir de timbres et l’essentiel de notre propos visera à préciser comment l’orchestration peut renforcer différentes situations musicales.

L’enseignement de l’orchestration pose de nombreux défis. Premièrement, il est difficile d’offrir une rétroaction adéquate aux travaux des étudiants : l’orchestre n’est tout simplement pas disponible pour exécuter les exercices préliminaires. Deuxièmement, si les parties sont raisonnablement jouables et si les entrées et sorties d’instruments ne contredisent pas les articulations formelles de l’œuvre, il est presque aussi difficile de réaliser une orchestration franchement mauvaise que vraiment bonne. En effet, le développement de l’orchestre au fil des siècles a favorisé autant l’euphonie que la flexibilité technique. Les faiblesses d’une orchestration pauvre mais jouable n’apparaissent qu’au fil du déroulement de la pièce ou suite à une écoute répétée. Les textures lourdes ou grises fatiguent l’oreille ; la structure et le caractère semblent uniformes et sans relief.

La simulation orchestrale sur ordinateur, dont la qualité s’améliore constamment, est bien sûr utile, mais pour qu’elle soit réellement convaincante, il faut préalablement avoir une idée assez précise de ce que le passage doit donner à l’oreille. La plupart des simulations non professionnelles sont mal équilibrées et manquent de raffinement.

Comme dans nos textes précédents, et compte tenu, d’autant plus, du fait que les réalisations orchestrales sont difficiles à tester, nous nous concentrerons, non pas sur des règles précises, mais plutôt sur les principes généraux qui les motivent. Ainsi, par exemple, quand on recommande aux étudiants d’éviter les trous importants dans la texture orchestrale, on s’appuie, de fait, sur deux principes :

  • Les éléments situés dans des registres distincts sont perçus comme faisant partie de plans sonores distincts.
  • Pour la plénitude sonore, l’oreille exige, surtout dans le registre médium, une texture bien remplie.

Ces deux principes expliquent pourquoi des trous larges peuvent convenir à une situation donnée, par exemple, un passage calme et enjoué, mais pas à une autre, par exemple, une masse riche et sonore.

Par ailleurs, l’accent sur les principes généraux permet de couvrir non seulement l’orchestration d’instruments traditionnels, mais aussi l’utilisation des timbres en musique électroacoustique ou en situation mixte. Pour faciliter les références, cependant, nous tirerons nos exemples du répertoire instrumental courant.

Enfin, dernier point, ce texte ne peut remplacer les ouvrages déjà mentionnés ; il vient plutôt les compléter.