L’art orchestral -Notions de base, 1ère partie

ORCHESTRATION ET FORME

Tout au long de cette série de textes, nous avons défendu l’idée que l’effet d’un geste musical dépend toujours de sa localisation dans le développement temporel de l’œuvre. Pour être réussie, l’orchestration doit s’intégrer à la forme.

Il faut planifier avec soin, par rapport à l’œuvre dans son ensemble, les éléments orchestraux suivants :

  • Changements de sonorité Les changements de timbre doivent être logiques dans le contexte musical. Un changement de sonorité crée une articulation formelle. Il se produit normalement entre des phrases, sections, etc. Dans une phrase, les changements orchestraux se produisent en principe à des moments significatifs sur le plan musical : changements motiviques, sommets et cadences. Les changements se produisant ailleurs tombent dans l’arbitraire.

Comparons la première version, dans laquelle le passage de la flûte au hautbois est logique sur le plan musical, à la deuxième. Aussi ridicule qu’il puisse paraître, ce problème est fréquent dans les travaux d’étudiants.

(exemple du répertoire) Mozart, Le Mariage de Figaro, Ouverture, mesures 59 à 67 : tout au long de la phrase et coïncidant avec les répétitions motiviques, entrent de nouveaux instruments ; une dernière imitation justifie un dernier ajout de flûtes.

  • Les accents : ce sont des événements sur lesquels on désire attirer l’attention de l’auditeur (voir l’exemple ci-dessous). Orchestralement, les accents requièrent normalement l’ajout momentané d’un nouveau son (ou un changement temporaire dans la façon de jouer, par exemple, en introduisant des doubles cordes aux violons). Tout ajout ou changement doit évidemment tenir compte du degré d’accent désiré.
  • Les cadences : les articulations formelles gagnent à être renforcées par des modifications de l’orchestration.

L’ajout des pizzicati des basses souligne la cadence.

  • Les progressions dynamiques : comme mentionné dans le premier texte de cette série, de telles progressions contribuent grandement à renforcer le sens de la direction et à créer des sommets. Les plus courantes sont :
    – les crescendos et les diminuendos (voir l’exemple ci-dessous),
    – les montées ou descentes de registre,
    – les épaississements ou amincissements de texture.
  • Les sommets gradués : habituellement, un dernier sommet, situé vers la fin, domine les sommets précédents. Il faut donc, en prévision de ce moment ultime, garder en réserve des ressources orchestrales puissantes qui y seront utilisées pour la première fois.



Symphonie n° 7 : le sommet de la pièce (mesure 309) est compensé sur le plan orchestral par les extrêmes du registre, une explosion du mouvement rythmique et de la couleur dans les percussions (glockenspiel, cymbales et timbales), et le solide passage aux cuivres dans un mouvement harmonique rapide.

RYTHME DES CHANGEMENTS D’ORCHESTRATION

Comme le rythme harmonique (la vitesse des changements harmoniques, par opposition aux simples valeurs de note), le rythme des changements orchestraux a un impact déterminant sur le mouvement musical. Le rythme d’entrée ou de retrait des timbres, même s’il est plus difficile à quantifier que le rythme harmonique puisque les changements orchestraux varient considérablement en importance (l’ajout aux violons d’une doublure de flûte en unisson n’a pas le même impact que l’ajout de trois trompettes formant un accord), contribue, particulièrement dans une même phrase, aux effets de tension et de détente.


Symphonie n° 6, Final : après un début agité, avec des changements de timbre à intervalles d’une ou deux mesures, l’orchestration devient moins volatile à partir de la mesure 11. Ce changement annonce l’arrivée d’une présentation stable du thème principal, succédant à l’introduction.

(exemple du répertoire) Mahler, Symphonie n° 4, 2e mouvement, mesures 34 à 46. Des mesures 34 à 42, les changements de sonorité demeurent subtils. À l’entrée des cors bouchés à la mesure 43, suivie, deux mesures plus loin, par le transfert du thème principal des cordes aux bois, l’intensité émotive s’accroît. Des changements de timbres importants et fréquents renforcent le caractère nerveux de ce second mouvement. Observons, en comparaison, comment l’usage des seules cordes, au début du 3e mouvement, installe le caractère calme recherché.

DEGRÉ DE CONTINUITÉ/CONTRASTE

Le degré de contraste timbral doit correspondre au degré de contraste formel : un changement de section exige davantage de contraste orchestral que l’apparition, dans une phrase, d’un nouveau motif. Le timbre a un impact important sur la perception de la forme musicale : un contraste trop grand engendre une rupture inappropriée ; un contraste trop fade par contre prive la musique d’une ponctuation nécessaire. Le degré de contraste de timbre entre des passages successifs est souvent mal évalué par les débutants. Bien qu’il soit impossible de mesurer les contrastes orchestraux avec précision, nous proposerons ici une échelle simple afin d’aider les débutants. Mais d’abord, une réserve importante : le contraste orchestral, tel que perçu, dépend non seulement du timbre, mais aussi d’autres éléments, tels le registre, l’articulation, la texture générale, etc.

Afin de simplifier notre tâche ici, nous allons limiter notre discussion à la situation la plus simple et claire : une phrase qui ne ferait valoir qu’un seul timbre, disons celui de la flûte. Ceci nous permettra de nous concentrer sur le contraste de timbre, sans distraction. Il va de soi que plus les autres éléments musicaux changeront en même temps, plus grand sera la contraste perçu.

Voici alors une échelle simple mais utile. Nous parlerons ici de deux phrases successives, entièrement identiques, à part leur timbre et une éventuelle transposition, pour mieux placer la phrase dans le registre du nouvel instrument L’échelle comprend cinq niveaux, passant d’un contraste minimal à un contraste maximal. À l’intérieur de chaque groupe, les différences importent peu. Pendant notre discussion, nous allons appeler les cordes, les bois et les cuivres des “familles” , et les flûtes, les hautbois, les clarinettes, ainsi que les bassons, chacun avec ses auxiliaires, des “sous-familles”. Comme principe général, des timbres qui se fondent bien en des accords présentent peu ou pas de contraste successif, alors que les timbres qui ne se fondent pas harmoniquement engendrent des contrastes plus marqués.

Groupe 1 : contraste imperceptible ou très doux

  1. Échange à l’intérieur d’un même instrument, mais avec des registres différents, p.ex. flûte grave/flûte aigue (à l’exception des registres les plus extrêmes).
  2. Échange entre membres voisins de la famille des cordes.
  3. Échange entre trompettes/trombones.

Groupe 2 : contraste modéré

  1. Échange à l’intérieur d’une même sous-famille de bois, p.ex. flûte alto/hautbois/cor anglais, etc.
  2. Échange à l’intérieur d’un même instrument ou d’une sous-famille, mais avec des registres extrêmes.
  3. Échange entre les divers membres de la famille des bois qui se fondent bien harmoniquement, p.ex. clarinette/basson dans le registre medium, flûte/hautbois dans le registre aigu.
  4. Échange entre bois et cuivres, dont le fondu simultané est bon, p.ex. basson/cor.
  5. Échange entre cor/trompette ou cor/trombone

Groupe 3 : contraste assez marqué

  1. Échange entre les divers membres de la famille des bois qui ne se fondent pasharmoniquement, p.ex. hautbois grave/flûte grave. (La plupart de ces cas comprennent le hautbois.)
  2. Échange entre bois et cuivres : des combinaisons qui ne se fondent pasharmoniquement.
  3. Échange entre bois et cordes.
  4. Échange entre cuivres et cordes.

Groupe 4 : le contraste attire plus l’attention que la similitude.

Le son est totalement différent : échange entre les cordes arco et pizzicato.

Groupe 5 : le contraste est extrême.

L’échange est limité à un seul aspect de la phrase : flûte vs petite caisse. Seul le rythme peut être imité.

Notes:

  • Les instruments à percussion peuvent être conçus comme un groupe de sous-familles, selon la classification standard : les bois, les métaux, les peaux.
  • Le pizzicato (cordes) doit être considéré comme un timbre complètement différent des cordes arco ; dans le fond, il s’agit plutôt d’une sorte de percussion.
  • Dans un passage ayant plusieurs plans sonores, le contraste est amoindri si l’arrière-plan est commun entre les deux phrases, p.ex. une phrase de flûte répétée par le hautbois, les deux phrases ayant le même accompagnement de cordes.
  • Si la musique d’un plan sonore est constituée de timbres mixtes, (p. ex. une mélodie pour hautbois et clarinette à l’unisson), le degré de contraste perçu dépendra sur la présence (ou pas) d’éléments communs entre les deux mixtures, p.ex. hautbois + flûte à l’unisson serait plus proche du hautbois + clarinette à l’unisson que le passage du hautbois seul à la clarinette seule. Bien entendu, la proéminence d’un ou plusieurs éléments communs est également pertinente. Il est à noter que l’usage constant de timbres mixtes rend des contrastes formels plus difficiles en général, car les couleurs, n’étant pas pures, sont moins distinctes.
  • Le brusque passage du très fort au très doux requiert un temps d’adaptation psychologique. Sans un temps suffisant, l’oreille risque de perdre, après un tutti en fortissimo, les premières notes plus douces. En de tels cas, souvent on retient un ou deux instruments du passage fortissimo précédent pendant un temps ou deux, afin d’adoucir le contraste.

CLARIFICATION DU PHRASÉ

Il est possible de renforcer orchestralement le contour d’une phrase. Même si des exécutants inspirés produisent instinctivement les flux et reflux habituels de la musique, les indications explicites de dynamique – surtout en ce qui a trait aux lignes principales – gagnent à être rendues par de subtiles modifications orchestrales. Deux situations surviennent fréquemment :

  • Accents et moments forts : comme nous l’avons déjà mentionné, les accents sont réalisés par l’ajout momentané d’un ou plusieurs instruments et sont souvent déclenchés par un élément percussif (parfois, un simple contraste de couleur suffit). Normalement, l’ajout doit adopter le registre de la ligne principale et doit convenir aux dynamiques et au caractère de l’ensemble.

Symphonie n° 4, 1er mouvement : Le sfp de la mesure 51 est considérablement renforcé par les attaques à la 8e note des 3e et 4e cors, ainsi que des trompettes.

(exemple du répertoire) Beethoven, Symphonie n° 7, second thème du Final, mesure 74 et suivantes : des accords aux bois viennent renforcer, dans le motif principal, les accents soudain aux cordes.

  • Crescendo et diminuendo : en ajoutant – ou en enlevant – des instruments selon une séquence bien graduée, on obtient, selon le cas, un crescendo ou un diminuendo orchestral. Veillons cependant à ne pas contredire l’évolution dynamique de la phrase en créant, orchestralement, l’opposé de l’effet recherché, par exemple, en ajoutant des instruments pendant un diminuendo.

Symphonie n° 4, 1er mouvement : le crescendo est orchestré par l’ajout de hautbois dans un registre aigu et l’épaississement des cors (mesure 135). Au sommet de la phrase (mesure 136), l’accentuation résulte de la sonorité spéciale des cors dans le registre le plus aigu (Mib), l’ajout d’une octave (altos) aux cordes et l’accord des timbales dans la mesure 137. Notons également le retrait des hautbois et l’amincissement des cors pour le diminuendo à venir.

(exemple du répertoire) Beethoven, début de la Symphonie n° 9 : l’ajout graduel d’instruments – premiers violons, contrebasses, altos, clarinettes, hautbois, flûte, basson, etc. – produit un magnifique crescendo.

ORCHESTRATION ET DYNAMIQUES

Il ne faut pas confondre dynamique absolue et dynamique relative. Chaque instrument, dans chaque registre, dispose d’une certaine étendue dynamique. Cependant, certains instruments, dans certains registres, ne peuvent répondre, en absolu, à certaines exigences dynamiques : un groupe de cuivres, dans un registre aigu, ne sonnera jamais très doux ; une flûte, dans le grave, ne peut prétendre à la grande force. Un débutant devrait toujours suivre la règle suivante : au lieu de simplement les indiquer sous forme textuelle, orchestrez les dynamiques.Dans le cas des dynamiques extrêmes en particulier, assurez-vous que les instruments et registres choisis engendrent naturellement le niveau recherché. Même approximatif, un tableau des dynamiques absolues des différentes familles peut aider :

  ppp pp p mf f ff fff
               
Bois (x)* x x x x x  
Cuivres   x x x x x x
Percussions x x x x x x x
Cordes x x x x x x  

(* Sauf à l’aigu, la clarinette peut jouer avec une extrême douceur.) Remarquons, dans ce tableau, ce qui permet d’atteindre les dynamiques extrêmes. Les cordes et certaines percussions (les tam-tam, les cymbales et les tambours graves) peuvent jouer de façon presque inaudibles. Pour une puissance colossale, rien ne vaut la force et la richesse des cuivres dans l’aigu combinés aux percussions.

L’indication des dynamiques pose souvent problème aux débutants. Un bon conseil : agissez comme s’il n’y avait que quatre niveaux possibles : pp, mf, f et ff. Orchestrez tout d’abord le passage de telle sorte que le niveau de dynamique absolu désiré découle naturellement du choix des instruments et des registres. Ensuite, considérez les dynamiques comme des indications de caractère et choisissez, pour le passage, une des quatre dynamiques suggérées plus haut. Évitez, au départ, les dynamiques intermédiaires (mp et mf ) : elles correspondent au jeu habituel en absence d’indication dynamique. Enfin, un dernier conseil aux débutants : évitez d’indiquer des dynamiques différentes aux différents instruments ; cette façon de faire exige beaucoup d’expérience puisque les exécutants, dans l’ignorance des indications de leurs collègues et sans consignes particulières du chef d’orchestre, cherchent normalement à s’équilibrer entre eux.

REGISTRE

Normal

La planification des registres s’avère essentielle à une bonne orchestration puisque tout changement de registre représente pour l’auditeur, musicien ou non, un événement important. La plupart du temps, la musique vise la partie centrale de l’étendue auditive humaine (ce qui correspond à l’étendue des voix humaines). Dans ce registre, en effet, l’oreille distingue les hauteurs avec précision et sans effort. Par ailleurs, si on désire une sonorité fondue constituant un même plan, l’organisation des registres doit respecter la série naturelle des harmoniques : les notes d’abord espacées dans le grave deviennent de plus en plus serrées vers l’aigu, en évitant tout creux dans le médium (de tels creux , en scindant la masse sonore, créent des plans distincts, ce qui n’est acceptable que lorsque la différenciation des blocs est requise, comme, par exemple, dans certains types de contrepoint).

(exemple du répertoire) Mozart, Symphonie n° 40, début du 2e mouvement : le caractère calme et paisible résulte, en partie, de l’utilisation du registre médium des cordes, en positions ouvertes (ce qui contraste avec le registre large du tutti à la fin du premier mouvement). Remarquons l’évolution du registre vers l’aigu, à travers la phrase, ce qui crée une progression convaincante.

Passages aigus vs. passages graves

Il est judicieux de ne pas remplir constamment tout le spectre audible. À l’occasion, des passages privilégiant l’aigu ou le grave permettent de fascinants contrastes tout en reposant l’oreille.

Symphonie n° 8 : le passage aigu et léger au début de cet extrait donne à la texture massive suivante, y compris aux cuivres graves, un effet de contraste efficace pour démarrer une nouvelle section.

(exemple du répertoire) Brahms, Symphonie n° 4, 3e mouvement, mesure 93 et suivantes : succédant au tutti (normalement organisé), les accords aigus et graves créent, en toute simplicité, un contraste des plus dramatiques.

Les extrêmes

Il ne faut pas abuser des registres extrêmes car ils fatiguent l’oreille. Cependant, dans un tutti, il est normal de couvrir un large registre : le grave permet plénitude et profondeur, l’aigu assure éclat et puissance. Constatons aussi que les extrêmes nécessitent moins d’instruments que le médium. Ainsi, même dans un grand tutti, un seul piccolo, dans son registre suraigu, saura se faire entendre.

Symphonie n° 8 : le piccolo dans son registre le plus aigu, ainsi que le tuba et les contrebasses dans leur registre le plus grave, jouent un rôle important dans l’effet de ce passage. Les violons sont également dans leur registre le plus aigu (et exigent de très bons exécutants). Notons également les trompettes et les cors : bien que non aigus dans l’absolu, ces instruments sont très aigus dans leur registre, ce qui crée un effet d’intensité et de tension.

Textures creuses

À l’occasion, des textures présentant de grands trous peuvent être efficaces, même si l’oreille s’en lasse rapidement. Notons que ce genre d’effet convient mieux aux passages doux : dans la puissance, les creux du médium perturbent l’ensemble et l’affaiblissent.

Variations pour orchestre : l’espace vide entre la (les) flûte(s) et la ligne des basses donne une couleur très distinctive à cette variation.

(exemple du répertoire) Malher, Symphonie n° 9, 1er mouvement, mesure 382 et suivantes : un contrepoint très largement espacé ajoute, temporairement, une certaine variété au riche tissu orchestral.

Progressions dans les registres

Les passages ne demeurent pas nécessairement confinés à seul registre. En particulier, en approchant d’un sommet (ou en le quittant), il convient de varier progressivement l’étendue du registre, soit en ouvrant (ou en refermant) le grave ou l’aigu, soit en élargissant (ou en resserrant) dans les deux sens à partir (en direction) du médium. De telles progressions contribuent fortement à préciser la direction musicale.

Variations pour orchestre : suite au passage grave précédent, la harpe et la clarinette ascendantes (mesure 437) donnent l’impression qu’un rideau s’ouvre pour révéler quelque chose de nouveau. Le doux crescendo des cymbales ajoute un contexte mystérieux.

(exemple du répertoire) Brahms, Symphonie n° 1, 1er mouvement, mesures 293 à 321 : l’intensité du développement sonore, en approche du sommet, résulte, en partie, de la progression graduelle du médium inférieur vers le registre aigu. (mesure 320).

COULEUR

Même s’il faut préciser que la couleur ne constitue pas, autant qu’on le croit souvent, un des grands objectifs de l’orchestration, la variété sonore, justifiée par les exigences formelles et le caractère, demeure essentielle. Toute coloration orchestrale, pour être réussie, doit respecter les deux principes importants :

  • La couleur doit convenir au caractère voulu.
  • La couleur dépend, plutôt que de l’emploi de timbres exotiques, essentiellement de l’effet de nouveauté dans le contexte de la pièce. Un timbre aussi familier que celui du hautbois peut amener nouveauté et surprise s’il n’a pas été entendu récemment. On comprend ainsi la fraîcheur des orchestrations de Mozart, malgré un nombre réduit de timbres.

SON SEC VS. SON RÉSONANT

On souligne souvent l’absence de pédale sostenuto à l’orchestre. En plus d’avoir des conséquences directes lors de la transcription d’œuvres pour piano, cette contrainte met en lumière un des aspects importants de l’orchestration : la résonance.

De par sa nature, la résonance est une des caractéristiques de l’arrière-plan. Dans son sens littéral, elle réfère à l’écho, la résultante d’un lieu réverbérant. À l’orchestre, la résonance devant être construite, elle constitue une résultante personnalisée. Même si dans l’histoire de l’orchestration, l’élaboration d’arrière-plans résonants sophistiqués devint la norme avec la disparition du continuo, Bach, déjà – pensons aux cantates – utilise de longues notes tenues pour enrichir la texture et même, développement intéressant, pour démarrer des lignes plus consistantes. Cette technique de composition à partir des résonances (de même que la technique de résonance occasionnelle – des lignes aboutissent à des notes tenues, présentées parfois en formule rythmique simple) donne naissance à divers procédés raffinés d’utilisation des résonances pour enrichir la texture.

(exemple du répertoire) Ravel, Les Valses Nobles et Sentimentales, Épilogue : en arrière-plan, des notes tenues aux cordes et de doux harmoniques à la harpe composent un halo scintillant qui enveloppe le thème principal aux bois. On retrouve constamment chez Ravel ces arrière-plans constitués de diaphanes vibrations. Son génie orchestral donne sa pleine mesure dans le traitement, sophistiqué à l’extrême, de la résonance.

Finalement, soulignons que même si de longues passages sans résonances peuvent sonner désagréables, à l’occasion, un passage “sec” peut s’avérer efficace. Par ailleurs, la distinction entre percussion “sèche” (à effet rythmique) et percussion réverbérante (créatrice d’ambiance) sert autant le débutant que le professionnel désireux de varier le caractère. Les jeux possibles, du sec au réverbérant, rappellent, en analogie, la nécessité pour soutenir l’intérêt rythmique et motivique de varier l’articulation (staccato/legato).

Symphonie n° 3, 1er mouvement : L’articulation lourde du staccato dans la mesure 103 et les suivantes est cassée par l’arrivée des notes tenues dans la mesure 110, qui introduit un passage legato contrastant. Notons que l’articulation précédente est accompagnée par la sonorité sèche du xylophone, tandis que les sonorités soutenues sont introduites par le fracas réverbérant de la cymbale.

SON AMPLE VS. SON MINCE ; LES DOUBLURES À L’UNISSON

Koechlin fait une distinction pertinente entre force et volume : par “volume”, il réfère à l’amplitude (à l’épaisseur) ou à la minceur des sons. Par exemple, peu importe le niveau dynamique, un cor sonnera toujours plus ample, plus épais, qu’un violon. En acoustique, on dira que les sons amples possèdent davantage de fondamentale que les sons minces. À l’orchestre, le volume du son – minceur vs. ampleur – dépend de deux variables : le timbre choisi (c-à-d. : cor français, tuba, etc.) et l’effet des doublures à l’unisson.

Mouvement symphonique 1 : notons la sonorité beaucoup plus riche et épaisse lors de l’arrivée des cors dans la mesure 104.

On rencontre deux types de doublure à l’unisson : doublure par un même instrument et doublure par un instrument différent. Si on double avec un même instrument, l’effet est plus qualitatif que quantitatif. Cela ajoute plus de volume que de force. Si on double avec un instrument différent, la combinaison de timbres crée une nouvelle couleur dont l’efficacité dépend du caractère que la couleur suggère et de sa pertinence dans le contexte. Puisque chez le débutant, la surutilisation des doublures à l’unisson représente l’erreur d’orchestration la plus courante, retenons la règle de base suivante : on ne double jamais à l’unisson, sauf si on vise plus de volume ou si la couleur résultante est exactement celle requise par le caractère.

ÉQUILIBRE : SIMULTANÉ ET SUCCESSIF

Koechlin amène une autre distinction importante : équilibre simultané vs. successif. La première concerne la prédominance de certains instruments dans une combinaison donnée, la seconde s’intéresse au volume relatif lors de la succession des sons. Notons qu’en succédant à une sonorité riche et épaisse, une sonorité mince, par ailleurs satisfaisante dans un autre contexte, risque de sembler, en comparaison, anémique. Ainsi, un trait de hautbois sonnera rachitique après un solide passage aux cuivres.

Concernant l’équilibre simultané, Rimsky-Korsakov propose des règles efficaces que nous ne reprendrons pas ici. Cependant, toutes choses étant égales par ailleurs, (c-à-d. avec des instruments de force équivalente), retenons les principes suivants :

  • Normalement, le trait le plus aigu attire l’attention.
  • L’oreille suit le mouvement. Si, par exemple, dans un orchestre à cordes, les altos bougent sur un fond de notes tenues, ils ressortiront.
  • Comme Koechlin le mentionne, trop d’activité peut distraire. Ainsi, si les cordes accompagnent normalement assez bien la voix, un contrepoint élaboré risque davantage de la couvrir que de longues notes tenues. Autrement dit, la balance ne dépend pas uniquement du choix des instruments, mais aussi de ce qu’on leur fait faire.