Principes généraux d’harmonie – Notions de base
UNE DÉFINITION DE L’HARMONIE
L’étude de l’harmonie devrait couvrir les éléments suivants :
- L’étude des éléments saillants des accords.
- L’étude des modalités de connections des accords.
- L’étude des exigences formelles de contrastes harmoniques et des gradations de contrastes possibles.
- L’étude pratique des relations tonales à grande échelle. Qu’il s’agisse de musique tonale ou non tonale, il convient de comprendre les relations à distance entre les notes.
LES INTERVALLES
On considère généralement les accords comme à la base de l’harmonie. Quelques mots à ce sujet.
Constatons d’abord que peu importe le style harmonique, chaque intervalle produit une couleur acoustique particulière. Ces couleurs particulières influencent fortement le caractère harmonique. Ainsi, un accord en quintes sonnera toujours plus ouvert et plus aéré qu’un cluster de secondes mineures. Peu importe le style, la classification traditionnelle des intervalles – dissonances fortes ou moyennes, consonances riches ou ouvertes – demeure pertinente, simplement parce qu’elle est audible.
Second point : en situation d’unité de timbres – donc, dans un plan sonore unique – si un accord contient plusieurs intervalles, de nombreuses relations intervalliques apparaissent, certaines plus importantes que d’autres. Voici quelques indices permettant d’identifier les perceptions intervalliques dominantes :
- Plus les notes d’un intervalle sont éloignées et plus il y a de notes qui les séparent, moins le caractère de l’intervalle s’impose.
Remarquons comment le frottement entre le sol et le fa dièse s’atténue à mesure que les deux notes s’éloignent.
- Si on place de façon contiguë un intervalle qui se répète dans l’accord, cet intervalle acquiert de l’importance.
Même si les deux accords contiennent deux quartes justes et une tierce mineure, la sonorité des quartes s’affirme davantage dans le premier accord.
- Plus il y a d’intervalles différents – surtout s’ils se voisinent – plus les intervalles compétitionnent entre eux et plus le caractère de l’accord se complexifie. (Une trop grande variété d’intervalles, fréquente en musique sérielle douteuse, rend la sonorité grisâtre.)
- Finalement, comme le souligne Persichetti, la multiplication des secondes mineures crée un effet de « coagulation » : les nombreuses dissonances dures compétitionnent pour attirer l’attention de l’auditeur, ce qui rend la direction confuse.
LES ACCORDS
On définit traditionnellement l’harmonie comme l’étude des accords, c’est-à-dire l’étude d’un groupe de notes perçues comme un bloc, qu’elles soient jouées simultanément ou arpégées.
Dans des styles d’écriture moins traditionnels, seules des normes harmoniques établies clairement, tôt dans la pièce, permettent à l’auditeur de distinguer les notes cordales des notes étrangères. Le compositeur doit donc limiter son univers harmonique grâce à des critères facilement audibles. Toutes choses étant égales, plus la norme harmonique est complexe, moins on perçoit les notes étrangères. Même si l’utilisation des notes étrangères n’a rien d’obligatoire, elle permet des effets harmoniques plus subtils et mieux gradués, ce qui assure un contrôle plus efficace de l’élan mélodique.
Dans les textures homophoniques traditionnelles, on constate trois situations où les notes ne sont pas attaquées simultanément : les arpèges, les notes étrangères qui suggèrent des harmonies plus rapides que l’unité métrique (souvent des accords de 7 ième) et les notes incompatibles avec les accords du système. Les exemples ci-dessus illustrent ces trois cas. A remarquer : le degré d’éloignement par rapport au répertoire d’accords disponible.
Dans cet exemple, nous retrouvons une situation semblable : la couleur des quartes, si caractéristique de l’accord, rend le solb note étrangère. Le sib s’entend, au contraire, comme note intégrante arpégée, ce qui crée moins de tension.
Dans ce dernier exemple, la norme harmonique est imprécise. Aussi, les mêmes deux notes (qui participent à la même ligne mélodique) présentent le même degré de tension. Il est impossible, ici, de distinguer les notes intégrantes des notes étrangères ce qui confère une certaine lourdeur à l’harmonie.
Enfin, notons qu’en harmonie stratifiée, les jeux de superpositions orchestrales créent différents niveaux de fusion ce qui complexifie la définition et la perception des accords. Nous reviendrons plus loin sur ce point.
LES PROGRESSIONS
Les progressions impliquent une série de changements harmoniques dans un même plan sonore et présupposent une perception claire des notes intégrantes de l’accord (voir précédemment). La notion de progression est cruciale. Elle permet de comprendre le rythme harmonique de même que certaines gradations du contraste harmonique. Notons qu’au niveau psychologique, l’impression de progression dépend de la quantité de nouvelles informations apparaissant avec chaque événement et des liens qui existent entre des événements successifs.
Cependant, dès qu’on quitte le monde familier des triades, l’identification des progressions devient problématique. Il demeure néanmoins possible de généraliser deux caractéristiques des progressions traditionnelles : la gradation et la direction.
La gradation réfère au degré perçu de changement. Si on compare les deux exemples suivants, le premier traduit, à l’évidence, un mouvement harmonique plus énergique que le second.
Les enchaînements harmoniques offrent plus de contraste dans le premier exemple que dans le second. Dans les deux cas, le groupement rythmique suggère trois accords. Dans le premier cas cependant, aucune note commune ne vient, dans une même octave, lier les accords consécutifs. De plus, comme l’indiquent les lignes entre les notes non adjacentes, la conduite des voix demeure conjointe. Cette absence de notes communes dans un même registre et ce déroulement conjoint des fils intérieurs constituant ces lignes composées créent un sentiment de direction convaincant.A l’opposé, dans le deuxième exemple, les nombreuses notes communes, tant dans les voix intermédiaires qu’aux extrêmes, rendent les changements (aussi indiqués par les lignes) moins marqués. Comparez attentivement ces deux exemples. Les gradations d’effets harmoniques sont essentielles pour éviter la monotonie harmonique.
Quelques mots au sujet de la direction. Il faut présenter suffisamment d’événements harmoniques pour susciter des attentes chez l’auditeur. Ainsi, à moins d’informations contraires, l’auditeur s’attendra à ce qu’une ligne de basse montante continue à monter. Rien n’oblige, bien sûr, le compositeur à répondre à ces attentes mais elles font néanmoins partie de la structure musicale perçue. Examinons une situation plus complexe :
Ici, le premier accord apparaît progressivement : tout d’abord aux cordes, puis aux bassons et enfin aux clarinettes. Chaque timbre ajoute de nouvelles notes qui se superposent, tenues, les unes aux autres. Le cor introduit ensuite un fragment mélodique qui aboutit sur la note supérieure de l’accord des bassons, ce qui crée un effet, au moins partiel, de résolution. En conséquence, l’impression générale n’en est pas une de progression mais plutôt de remplissage graduel d’un bloc harmonique. Après le silence, l’effet de progression est plus clair : d’une part parce que chaque accord introduit des notes tout-à-fait différentes de celles de l’accord précédent, d’autre part, parce que la basse chromatique monte sans ambigüité en gamme. Soulignons, encore une fois, le recours à différents degrés de changement harmonique pour diversifier la sensation de mouvement musical.